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    Révélé par le court-métrage d’animation Butterfly, plébiscité au début des années 2000 par Ray Harryhausen en personne, Corin Hardy a tourné pendant dix ans des clips vidéo pour Keane, Paolo Nutini, The Prodigy ou encore Olly Murs avant de signer deux films d’horreur, Le Sanctuaire en 2015 et La Nonne en 2018. Invité par Gareth Evans à tourner un tiers de la saison 1 de Gangs of London, le cinéaste a légitimement hérité d’un poste de showrunner sur la deuxième saison.

    Quand avez-vous fini votre travail sur la saison 2 de Gangs of London ?

    Il y a quelques semaines seulement, à la mi-septembre. Nous nous sommes parlé pour la dernière fois il y a environ deux ans, et je n’ai cessé de bosser sur la saison 2 depuis. Je suis pressé que le public puisse la découvrir,

    Gareth Evans était-il impliqué dans cette nouvelle saison ?

    Non, il a été très occupé sur son nouveau film Havoc. Dès la fin de la première saison, il a enchaîné sur la préproduction de ce long-métrage. Il est resté producteur exécutif sur Gangs of London, donc il m’est régulièrement arrivé de lui demander des conseils, notamment pour préparer le planning de tournage de certaines séquences d’action. Son scénariste Matt Flannery est parti lui aussi sur Havoc.

    Il a visiblement été remplacé à l’écriture par Tom Butterworth (notamment coscénariste de La Dernière légion de Doug Lefier - NDR).

    En effet, Tom est devenu le scénariste principal, et je suis devenu le réalisateur principal. Tom et moi avons travaillé étroitement sur la trajectoire dramatique des personnages et l’évolution des enjeux. Quand j’ai bouclé le dernier épisode de la saison 1, j’ai noté dans un carnet plein d’idées que j’aurais aimé voir figurer dans la saison 2, liées à des relations entre différents personnages, mais aussi à des situations et des morceaux de bravoure potentiels.

    Quand on m’a demandé de m’occuper de la nouvelle saison, le Covid a paralysé tout le monde et j’ai planché sur les premiers épisodes de chez moi pendant environ six mois. Je n’avais jamais occupé un rôle de showrunner par le passé, mais je savais que ce n’était pas l’ambiance habituelle. Normalement, on se rassemble dans une pièce, on discute des scripts et on a parfois les meilleures idées devant la machine à café, pendant la pause. On a quand même réussi à créer une carte narrative de la saison et j’ai travaillé étroitement avec le designer de l’action Tim Connolly, qui nous a rejoints pour l’occasion.

    Le premier épisode de cette nouvelle saison regorge de scènes d’anthologie, comme c’était le cas dans la précédente. Comment vous êtes-vous réparti la tâche avec Tim Connolly dans la chorégraphie de l’action ?

    Je me suis beaucoup inspiré du travail de Gareth. On ne peut pas réussir une scène d’action par accident. Ça exige des mois et des mois de préparation. Le défi, dans un show TV comme celui-ci, est de concocter, mesurer, évaluer et valider les scènes d’action suffisamment à l’avance pour avoir le temps de les designer, de les story-boarder, de les répéter avec les acteurs, de rassembler tous les accessoires et les effets spéciaux nécessaires…

    Il faut même prévoir les impacts de balle et les effets visuels numériques. Si vous cochez toutes ces cases, une fois sur le plateau, vous pourrez exploiter au mieux le temps qui vous est imparti. Et parfois, on n’a que deux jours pour tourner une séquence entière. Dans l’épisode 1, je joue beaucoup sur le teasing, par exemple lors de l’introduction du personnage d’Elliot. L’idée était d’attraper le public, de le plonger au milieu de l’action alors qu’on essaie de rejoindre le héros.

    C’est presque du James Bond ou du indiana Jones : on est à la fin d’une mission et on retrouve Elliot dans un moment à la fois fort visuellement et très signifiant. Ce n’est pas un assassin élégant qui élimine discrètement ses cibles : il fonce dans le tas et il est visiblement épuisé. Dès cette séquence, je voulais faire comprendre au public qu’on n’allait pas y aller avec le dos de la cuillère.

    La réalisation de cette scène est très originale. Les combats en plans-séquences sont à la mode depuis quelques années, et c’est presque devenu un concours. ici, le plan-séquence n’est pas le combat mais la mise en place du combat. C’est assez rafraichissant !

    Je comprends totalement ce que vous voulez dire. Pendant la préparation de la saison 2, mon rôle était de m’assurer que les scénaristes parviennent à réfléchir de façon cinématographique, outrancière et épique. Ça ne devait pas être de la télévision conventionnelle, où l’on peut comprendre l’histoire juste en écoutant les dialogues. J’ai monté quatre heures d’extraits de films que j’adore : À toute épreuve, The Killer, Old Boy, Heat, RoboCop, A History of Violence

    Le combat au couteau situé dans une voiture dans J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon est aussi un bon exemple. C’est un moment visionnaire, choquant, magnifique, cinématographique.… Je voulais que les auteurs s’en imprègnent et qu’ils osent imaginer des choses comme Ça. On a tendance à croire qu’on est limité dans ce qu’on a le droit de faire au Royaume-Uni. Je voulais qu’on respecte l’ADN de la saison 1, mais il était indispensable qu’on s’inscrive aussi dans l’héritage de ces films.

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    Savoir ce qui a été fait auparavant, ça aide à comprendre ce qui n’a pas encore été tenté dans le genre.

    Exactement, et c’est aussi pour ça que j’ai montré ces extraits aux scénaristes. J’ai aussi développé une bible de Gangs of London. Sur 150 pages, j’explique ce que je trouve réussi dans la saison 1 visuellement, tonalement, créativement, et j’énonce aussi les règles de cet univers, entrecoupées par mes propres croquis. Ça nous a permis de sortir des sentiers battus pour de nombreuses séquences. Prenons l’exemple du final de l’épisode 1, où l’action vire au home invasion. On a déjà exploré pas mal de genres dans la série, et je pense qu’on peut facilement les mélanger à l’écran.

    Incorporer des éléments de film d’horreur fonctionne, sauf si d’un point de vue tonal, le spectateur a l’impression d’avoir zappé sur un autre show. Luan et sa famille vivent dans une gigantesque villa, ce qui me permettait de faire monter progressivement le suspense en multipliant les plans-séquences dans cet énorme espace. Narrativement, il y a une raison très concrète pour laquelle des assassins masqués envahissent sa demeure, mais ça me permettait clairement de jouer avec les codes horrifiques.

    Il y a des plans tout droit issus du slasher, par exemple quand un personnage ouvre le frigo et le referme. Vous faites Ça trois fois de suite, on s’attend à ce qu’un tueur apparaisse derrière la porte, vous jouez même avec les couteaux, les masques… On se croirait presque dans Scream ou Halloween ! Ce n’est pas le seul clin d’œil au cinéma d’horreur que compte l’épisode 1. Les toilettes où se réfugie Alex Dumani sont d’un rouge vif qui évoque immédiatement Shining. En plus, on a droit à une brève apparition fantomatique dans ce décor…

    Vous savez quoi ? Je n’ai même pas demandé à l’équipe du production design de recréer les toilettes de Shining. On a trouvé de vraies toilettes rouges et j’ai trouvé ça génial et tout à fait pertinent pour la séquence. Je crois qu’on a quand même ajouté les miroirs.

    Parlons-en, des miroirs. Le personnage d’Alex projette une façade en permanence, et vous le soulignez à travers des jeux de reflets très élaborés, notamment une transition très parlante entre deux décors où l’on retrouve Alex exactement dans la même position. Il y a un effet de miroir dans le montage.

    J’aimerais que tout le monde regarde la série avec la même attention |! (rires) En effet, Alex a été promu et la pression qu’il subit est écrasante. Il a réussi sur le dos de son meilleur ami. Dans une version antérieure du script, tout le monde était d’ailleurs persuadé qu’il avait tué Shaun. On venait lui serrer la main pour le féliciter ! Et il ne niait rien. Alex est quelqu’un de très intelligent, il cherche une porte de sortie pour sa famille tout en étant rongé par la culpabilité. Je voulais raconter ça visuellement, ce qui est toujours plus intéressant que de communiquer les informations et les états d’âme des personnages à travers les dialogues.

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    Toute la caractérisation est visuelle. Le personnage de Lucian Msamati utilise un BlackBerry, ce qui tranche avec les autres.

    Oui, il est old school et même un peu ancré dans le passé. Il est un peu relégué à un rang subalterne et dénigré par les autres alors qu’Alex a été promu. Je voudrais revenir sur le plan-séquence dont on parlait tout à l’heure. Je voulais que ce choix de mise en scène compte vraiment, qu’il n’ait pas l’air aléatoire. Souvent, quand on voit un plan-séquence, on se dit qu’il est cool mais ça n’a pas de résonance thématique. À travers ce plan, je voulais qu’on rattrape le temps qui s’est écoulé depuis la première saison et qu’on découvre où Elliot se trouve un an après. Il y a évidemment une volonté de repousser les limites du format télévisuel, je ne vais pas le nier.

    On avait deux jours et demi pour tourner la scène, donc il a fallu la concevoir en fonction du planning. La première idée qui m’est venue, c’est ce moment où il écrase la tête d’un méchant dans la machine à laver. Ça m’a fait rire. Or, à l’écran, on ne le voit pas : on entend le bruit et ensuite on découvre les conséquences du carnage d’Elliot. On essaie de le rattraper en permanence, en entendant ce qui se déroule hors-champ. C’était donc un équilibre entre des intentions de mise en scène et des partis pris économiques.

    Pour un plan comme celui-là, il faut savoir jouer avec les accessoires, et c’est d’ailleurs très jouissif de concevoir des décors de façon aussi précise. J’ai utilisé deux jumeaux pour le moment où un méchant se fait poignarder dans le cou. L’un d’eux passe devant la caméra, puis l’autre apparaît avec le couteau déjà planté et s’effondre au sol. C’est un « Texas switch » à l’ancienne ! Quand on arrive au combat proprement dit, il faut que ce soit plus brutal et chaotique. J’ai eu cette idée d’un type énorme étranglé par le héros.

    C’est l’une des scènes de strangulation les plus violentes de l’Histoire !

    Je prends ça comme un compliment. J’imagine que vous avez deviné ma source d’inspiration pour l’œil exorbité et la langue qui se tend ?

    Total Recall ?

    Exactement !

    Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec l’équipe des maquillages spéciaux ?

    L’équipe n’était pas la même que sur la saison 1. Claire Williams n’était pas disponible, donc elle a été remplacée par Helen Speyer et Richard Martin, un prosthetic designer que je vais retrouver sur mon prochain long-métrage. Il a fait un travail phénoménal sur les effets gore. Je lui donnais des croquis de ce que j’avais envie de voir, représentant des blessures très particulières…

    Quand on tue un personnage, on ne veut pas juste voir une tache de sang sur la poitrine. Si un œil est touché par une balle, on doit voir un morceau de crâne. Ainsi, le spectateur ne glorifie pas la violence, il sait que c’est un monde dangereux. J’ai toujours adoré les effets spéciaux pratiques et les maquillages prosthétiques. C’est difficile de tous les faire tenir dans un budget aussi serré, mais je crois qu’on a réussi.

    Procédez-vous à des séances de brainstorming pour concevoir des mises à mort originales ?

    (rires) C’est horrible quand on le dit comme ça.

    Si ça vous rassure, Peter Jackson et son équipe artistique ont fait la même chose sur la trilogie du Hobbit.

    Je sais que vous comprenez ce que je fais, je n’ai pas à m’expliquer ici sur la manière dont j’aborde la violence comme je pourrais le faire avec un autre magazine. Oui, il est très important de concevoir des morts originales dans une série comme Gangs of London. C’est un pacte que l’on passe avec le spectateur. Je déteste quand un personnage meurt presque hors champ ; on entend juste un bruitage et il tombe, mort.

    Dans la saison 2, une mort en particulier est la meilleure que j’ai jamais tournée. Je ne peux pas vous dire laquelle, mais vous le saurez quand vous la verrez. (rires) Donc oui, j’y pense beaucoup. Si on se débarrasse d’un personnage, il doit y avoir une image finale impactante. Pour le gangster turc, qui est d’ailleurs interprété par l’homme le plus fort du monde, j’ai eu l’idée de tous ces gros plans sur la pression qui monte dans ses yeux, le sang qui éclabousse sa langue… C’est très graphique, et il faut l’être.

    William Friedkin a réussi à se débarrasser de personnages centraux en une seconde dans Sorcerer et Police fédérale, Los Angeles.

    Oui, mais leur mort est un choc majeur. Ça honore ces personnages. Dans l’épisode 1 de la saison 2, un personnage important se jette du haut d’un building. Je tenais à ce que la caméra capte sa chute, ne serait-ce que brièvement.

    Ce plan est très réussi, il est très hitchcockien. Nous parlions un peu plus tôt du BlackBerry, mais d’autres accessoires sont tout aussi signifiants, par exemple le revolver argenté que brandit Elliot face à Alex. Or Elliot est tout en nuances de gris, il évolue des deux côtés de la loi.

    Quand je choisis des armes, je veux bien sûr être un peu réaliste et opter pour les armes qu’utiliserait un tel personnage dans le monde réel, mais je m’autorise une certaine licence poétique. Je n’aime pas les armes modernes car elles ont l’air d’être en plastique. Ce n’est pas comme ce qu’on voit dans L’Inspecteur Harry - et d’ailleurs, Koba utilise un Python dans la saison 2. Je voulais que le flingue d’Elliot reflète la lumière de la Lune. Ce n’est pas très cohérent car il se ferait repérer plus facilement, mais il y a une intention esthétique.

    La scène de home invasion est aussi très impressionnante, en particulier ce long moment sous l’eau.

    Ça ressemble à un plan-séquence mais on a un peu triché. On m’a conseillé de ne pas inclure ce plan, car le planning était encore une fois très serré. Réfléchissez à la manière dont j’ai abordé la scène : je voulais que tout se déroule du point de vue de Luan. Il est dans tous les plans et on ne s’éloigne que brièvement de lui lorsqu’il se met à l’abri. Par conséquent, il était impossible de tourner plusieurs plans en parallèle. On n’avait la maison que pour quelques jours. Je l’avais choisie en raison de son incroyable jardin, qui rendait très bien la nuit, mais ironiquement on n’a pas pu tourner de nuit car le voisinage exigeait un arrêt des prises de vues à 22h.

    On m’a demandé de couper le plan de la piscine parce qu’il était trop complexe à tourner. On ne pouvait avoir Orli Shuka que quelques heures. De là est venue l’idée de la serviette autour de sa tête. Avec la serviette, on pouvait tourner la première moitié du plan avec une doublure, pendant une demi-journée, et une autre demi-journée était dédiée au tournage avec Orli. Nous avons prévisualisé tous les mouvements de caméra, nous avons divisé le plan en six coupes distinctes, et je suis très fier du résultat.

    Le personnage de Koba est l’une des meilleures nouveautés de la saison 2.

    Je suis content que vous en parliez ! Je suis pressé que les fans le rencontrent. J’adore Gary Oldman dans Léon, Alan Rickman dans Piège de cristal, et je voulais un vilain aussi mémorable. Il ne devait pas être simplement maléfique et méchant, il devait aussi avoir des aspects intimidants et étranges. Waleed Zuaiter a fait un travail phénoménal, je l’adore. Tom Butterworth mérite aussi beaucoup de crédit : la scène où Koba demande à un prisonnier d’avaler des balles de fusil définit totalement le personnage. Ça m’a rappelé cette séquence d’Alien où l’androïde interprété par lan Holm attrape un journal et essaie d’étouffer Ripley avec. En forçant ce type à avaler des balles qui pourraient exploser, Koba impose son contrôle. Et ironiquement, on s’attache à lui au fil de la saison ! Vous verrez…

    🎬 – Red Band Trailer :

    Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    Merci à Mylène Daimasso.

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    encore un truc à mettre dans la watchlist 😉